Aldo Naouri était l’invité du GFIC lors du week-end de la Pentecôte 2013. Son message : protégez votre couple de l’intrusion des belles-famille et réaffirmez constamment votre estime mutuelle.
« Le mariage sert avant tout à protéger son couple de la tendance des belles-familles à se mêler de ce qui ne les regarde pas », disait Aldo Naouri en mai dernier aux couples islamo-chrétiens lors leur rencontre annuelle. Quelques jours de vacances auprès de ma belle-mère marocaine à Casablanca m’ont donné l’envie – et le temps- de réécouter et transcrire l’entretien qu’il nous avait accordé. Ne voyez là aucune perfidie ! C’est justement grâce à Aldo Naouri que ma belle-mère a cessé de m’agacer. Dans un livre étonnant paru en 2010, le célèbre pédiatre explique pourquoi les tensions entre belles-mères et brus sont universelles (« Les belles-mères, les beaux-pères, leurs brus et leurs gendres »,Ed. Odile Jacob). « Haja Aïcha » fait tout simplement son boulot de belle-mère et j’ai appris à m’en accommoder, sinon à m’en réjouir. (Lire l’interview de Naouri publiée alors dans La Vie à ce sujet).
Aldo Naouri connaît bien le monde arabo-musulman. Juif de Libye, né à Benghazi en 1937, il a passé son enfance en Algérie jusqu’à son bac. Il a fait ensuite ses études de médecine en France où il s’est installé. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le couple et ses enfants. Le 30 mai 2013, le Groupe des Foyers islamo-chrétiens l’avait donc pour réfléchir aux enjeux éducatifs de leur double appartenance. Ce qu’il a dit ce jour-là a conforté et réconforté son public de jeunes et moins jeunes couples.
Comment élever ses enfants quand les notions de famille, d’autorité, d’autonomie diffèrent foncièrement dans la culture d’origine des conjoints ?
Aldo Naouri : Vous pensez que vos familles peuvent délivrer des messages contradictoires à leurs enfants. Or aucune famille n’échappe à cela. Vous vous focalisez sur des difficultés qui vous semblent inhérentes à vos différences de culture ou de croyances mais qui sont celles de tous les couples.
Lors d’un voyage en Chine, j’ai rencontré une femme, professeur de français à l’université. Je me suis intéressée avec elle à la fabrication des idéogrammes chinois. Lorsque que vous voyez un Y renversé dans un idéogramme, c’est qu’il contient l’idée d’un homme. Le même Y renversé avec une barre horizontale au-dessus signifie femme. Quand vous voyez une sorte d’accent circonflexe, c’est la maison. Je décide d’écrire mon premier idéogramme : je fais un accent circonflexe, en dessous je trace deux Y renversés dont un avec une barre dessus. Je viens d’écrire couple. Ah, non, me répond-elle. L’idéogramme existe bien. Mais il veut dire… dispute.
Extraordinaire ! Mettre sous le même toit un homme et une femme, c’est déjà en soi, poser un énorme problème.
Que cet homme et cette femme aient de surcroît un brin de différence et ils vont essayer de fuir la difficulté que pose toute cohabitation en mettant sur le dos de ces différences des choses qui ne devraient pas y être. Ce sont simplement deux individus qui sont là en train de vivre une expérience de l’altérité la plus radicale et la plus intime qui soit.
Juste une « petite » différence ? Rien de plus ?
Aldo Naouri : Ce qui est fondamental au sein d’un couple, c’est de savoir que l’on vient de quelque part, que nous avons été construits par une cellule familiale. Cette cellule familiale nous a dessiné, sculpté, mais de façon grossière. Nous allons passer toute notre vie à passer du papier de verre sur ce que notre famille a fait de nous pour pouvoir éventuellement devenir un individu plus présentable. Eh bien, le conjoint, c’est le papier de verre. Evidemment, quand on passe du papier de verre, ça irrite. Et on se dispute.
Parfois, nous ressentons nos familles respectives comme deux blocs entre lesquels nous sommes coincés. Si nous ne résistons pas, nous allons finir broyés entre les deux. Comment se comporter vis-à-vis de ces belles familles sans les blesser ?
Aldo Naouri : Ce que vous décrivez se passe à l’intérieur de tous les mariages. Le mariage est une institution anthropologiquement inscrite dans l’histoire de l’humanité. Quel est son intérêt ? Le mariage est un rite de passage qui consiste à changer de référentiel. Les conjoints qui décident de s’unir déclarent devant témoins qu’ils ne sont plus les enfants de leurs parents et qu’ils sont désormais à définir comme le conjoint du conjoint. C’est leur manière de mettre à l’écart chacune des deux familles et de dire : à partir de maintenant, c’est nous qui décidons de notre vie à deux. Nous la protégeons et nous la mettons au centre de notre intérêt. Mais les choses ne vont pas être aussi simples. Pourquoi ? Parce qu’il est très difficile pour des parents de résister à cette pulsion extraordinaire qu’ils ont de ne pas vouloir lâcher leurs enfants. Si en plus vous épousez quelqu’un qui ne faisait pas partie de leur projet, ils vont vous expliquer à quel point vous être fragiles et immature et que vous avez encore bien besoin d’eux pour éviter de commettre de graves erreurs.
Y a-t-il une façon différente dans nos cultures de penser le rapport à la famille, à l’autorité paternelle, le rapport de soumission à la volonté familiale ?
Aldo Naouri : Le droit arabo-musulman fait du père le pivot de la famille, c’est-à-dire le maître de la famille. Il ne faut pas oublier qu’en arabe, le terme « abou » (père) veut dire aussi le propriétaire.
En droit arabo-musulman, quels que soient les torts de l’homme dans un procès de divorce, les enfants lui reviennent toujours. Dans les pays occidentaux, il s’est passé quelque chose de tout à fait important mais qui a couvé très lentement et qui a éclaté au cours de ce dernier demi-siècle, c’est que le père n’a plus compté à l’intérieur de la famille occidentale. Les deux parents sont placés à la même enseigne : il n’y a pas de différence de droit. Mais en réalité, cette situation est inégalitaire en ce que la mère portant des enfants déploie sur ses enfants une manière d’être efficience. L’enfant a été porté neuf mois par sa mère et il est branché sur elle par une communication intense. Le bébé quand il vient au monde a dans son cerveau sensoriel une puce qui lui permet de communiquer avec sa mère et qu’il garde le restant de ses jours. Le père n’est que celui que la mère admet comme tel, celui qu’elle désigne comme ayant une parole importante pour elle. A ce père qui ne possède pas la puissance sur l’enfant, les civilisations ont donné quelque chose d’équivalent à cette puissance sous forme de pouvoir. En France et plus largement en Occident, pour des raisons liées au contexte et à l’histoire, ce pouvoir paternel a été démantelé à partir des années 1960. La notion de « chef de famille » a été supprimée en France. Les pères ont perdu le pouvoir qui équilibrait la puissance de la mère, ce qui ne va pas sans conséquences.
Comment transmettre l’islam dans un contexte où il est stigmatisé ?
Aldo Naouri : C’est la plus grande difficulté : résister au poison idéologique et politique. Il faut mettre en avant constamment auprès de ses enfants le fait que l’on s’est choisi l’un l’autre, en connaissance de cause. Il faut leur répéter que la différence de l’autre vous enrichit, et que vous êtes en train de leur transmettre un trésor : une double culture qui permet de penser dans deux registres différents. L’enfant va intégrer ces deux dimensions harmonieusement grâce à l’estime et l’amour que se portent mutuellement ses parents malgré leurs différences. A partir du moment où l’on s’entend pour signifier aux enfants l’extrême respect que l’on a envers l’autre, y compris dans sa différence, on a résolu de nombreux problèmes et accomplit quelque chose d’un immense progrès.
J’ai moi-même appris le français à l’âge de 6 ans, ma mère n’a jamais parlé un mot de cette langue jusqu’à sa mort en 1983. Personnellement cette double culture m’a aidé car m’ont été transmises les valeurs communes à l’ensemble des religions et qui devraient être celles de toute morale. Il faut être capable de dire quand on est chrétien que les croisades ont été une énorme erreur. Et quand on est musulman, que le type qui se fait exploser au nom de l’islam est fou.
On ne s’est pas choisi pour rien. Tout à l’heure j’ai pris l’image de cette sculpture qui doit être lissée par du papier de verre. Selon le travail qui reste à accomplir, on préfère choisir un gros papier de verre, plutôt qu’un papier trop fin. Et c’est là où choisir le différent, c’est dire, de façon encore plus clair à ses origines : il y a quelque chose qui n’a pas marché. Et si je reste dans le même état avec vous, sans prendre le différent radical, je sens que je ne vais pas accomplir mon parcours de vie comme il se doit. Et là, encore une fois, on peut se dire que le choix que l’on a fait est certainement le bon par rapport à sa structure et son histoire. On peut s’unir autour de cela et ne pas cesser d’avoir conscience de la chose, on ne peut que construire.
Comment faire en sorte que l’enfant ne soit pas dérouté par ce que la société lui renvoie comme image de la religion, en particulier de l’islam ?
Aldo Naouri : Il ne faut pas oublier que les messages parentaux s’inscrivent en gros et avec un gros feutres. Les messages extérieurs – l’école, les médias, les amis- s’inscrivent seulement au stylo bille et ne masquent jamais le message des parents. C’est à ce que vous direz que l’enfant sera le plus sensible. L’enfant a besoin de réentendre régulièrement l’estime que vous vous portez mutuellement et qu’il y a d’abord et avant tout du respect entre vous.
L’islam et la foi chrétienne ne se transmettent pas de la même façon. Comment concilier le respect de l’autre avec des contraintes qui peuvent alourdir le quotidien de la famille ?
Aldo Naouri : Il est vrai que transmettre l’islam se fait dans la gestuelle quotidienne et qu’il n’est pas simple de ne pas manger de porc, de pratiquer le ramadan, etc. Cela peut être le résultat d’un compromis. J’ai reçu un couple composé d’un philosophe japonais et d’une danseuse suédoise. Ils sont venus sans enfant avec une liste de 19 questions. Première question : au Japon, on force les enfants à finir leur assiette, quitte à les battre. En Suède, on insiste pour que les enfants finissent leurs assiettes, mais on ne les bat pas. On leur parle des malheureux qui n’ont pas de quoi manger. En France on ne force pas un enfant à manger.
Que devons-nous faire ?
Aldo Naouri : Au Japon, les enfants dorment avec leurs parents. En Suède, les enfants dorment avec leurs parents seulement quand ils sont malades. En France, on dit que les enfants ne doivent jamais dormir avec leurs parents. Que devons-nous faire ? J’ai écouté toutes ces questions et je leur ai demandé : où souhaitez-vous vivre ? En France ? Alors faites comme en France. Sinon votre enfant va être désadapté. Cela ne vous empêche pas de leur raconter comment on fait en Suède et au Japon.
Nos enfants qui sont élevés dans les deux religions mais à qui nous laissons la liberté de choisir un jour une religion, ne se trouvent-ils pas dans un conflit de loyauté ?
Aldo Naouri : Si j’ai bien compris, dans vos couples, chacun a conservé sa religion d’origine. Mais on sait que la transmission du christianisme ne passe pas obligatoirement par le père ou par la mère. Dans l’islam, tout enfant du père est musulman. Ce message passe, même s’il n’est pas formulé. Mais c’est pareil pour la mère musulmane. L’islam a une primauté, justement parce qu’il est stigmatisé et que les enfants prennent toujours le parti des plus faibles. Mais à partir du moment où le couple en a conscience de ce genre de choses, il peut rééquilibrer les efforts de transmission. Il me semble que si le père musulman dit bien le respect qu’il a pour la foi de la mère chrétienne, le conflit de loyauté sera bien moindre. Cet enfant pourra naviguer entre ces deux héritages et éventuellement choisir un jour.
Comme chacun respecte l’autre, l’enfant va recevoir de chacun des deux messages l’essentiel. Pour ce qu’il en est de choisir telle ou telle religion, il aura le temps durant sa vie de s’intéresser au contenu. On ne va pas lui demander de devenir un exégète des haddiths ou des évangiles ! Dieu sait qu’il y a des communautés de vue, de croyances entre vos religions : le monothéisme, la charité ! Quantité de choses peuvent être transmises aux enfants sans pour autant leur imposer d’aller d’un côté ou de l’autre. Si vous vous réunissez aujourd’hui pour en discuter, c’est que vous avez en vous une souplesse qui permettra aux choses de se passer le mieux possible.
Et quand chacun des conjoints aimerait bien plus ou moins secrètement que leur enfant épouse sa propre religion ?
Aldo Naouri : Cela fait partie du débat que chacun doit avoir avec lui-même. Le fait d’être bien conscient que nul ne vous a contraint de choisir ce partenaire, mais qu’il y a bien chez lui ou chez elle quelque chose qui vient au-dessus de tout, vous permettra de débattre avec vous-même de la façon la plus saine.
Parents de jeunes adolescents, nous avons laissé le choix à nos enfants, dans le respect de nos différences. Est-ce que nos enfants vont réussir à se construire, à trouver leur propre voie sans que ce soit un choix d’opposition ou de loyauté ?
Aldo Naouri : Vous posez une question de mère d’adolescent ! Tous les ados que vous rencontrerez sont à peu près comme les vôtres. Un adolescent c’est un être dont la caractéristique majeure est d’avoir une peur panique de la mort. La peur de l’adolescent va déclencher l’angoisse des parents. La peur des parents accroit celle de l’adolescent. C’est un cercle vicieux. Devant vos adolescents, n’ayez pas peur ! Ils sont condamnés à évoluer de façon favorable dans la mesure où vous leur signifiez votre confiance et que vous continuez à manifester votre respect mutuel en tant que conjoints. L’adolescence, on en sort toujours !
Quid des messages de la belle-famille quand elles sont conflictuelles ou absentes ?
Aldo Naouri : Le message des grands-parents aux enfants, c’est du style bille rouge au lieu de stylo bille bleu. C’est tout. En revanche, leur message peut devenir du gros feutre rouge si le père ou la mère donne raison à ce qui a été dit par ses propres parents. En revanche, si chacun dit : « Nos parents pensent ainsi. C’est leur droit. Moi, j’ai choisi ton père ou ta mère, parce que je respecte ce qu’il est. » Encore une fois chacun des conjoints est le gardien de l’autre contre sa propre famille. Je suis le gardien de ma femme contre ma famille et elle est ma gardienne contre sa famille. J’ai commencé par là. Attention, je ne néglige pas le poids des belles-familles. Je sais à quel point les grands-mères en particulier peuvent être envahissantes.
Pourquoi les grands-mères, plus que les grands-pères ?
Aldo Naouri : Les grands-mères maternelles, en particulier. Une fille a énormément de difficulté à résister à la pression de sa mère parce que cela la renvoie à sa constitution de fille. Quand un bébé vient au monde, il a été porté pendant neuf mois dans un ventre de mère. Ces neufs mois le marquent définitivement. Il va percevoir dans les soins que lui apporte sa mère, l’attachement qu’il a à cette mère. Le premier objet d’amour pour un enfant, c’est sa mère. Cet amour va fabriquer la matrice de l’amour qu’il va concevoir plus tard. Pour un garçon, la chose est simple : j’aime maman qui est une femme. Mais il faut que j’y renonce. Je trouverai une femme que j’aimerai et qui ressemblera à ma mère. Je suis dans l’hétérosexualité. Une femme choisit aussi un homme qui ressemble à sa mère. Elle va grandir en se posant la question : suis-je elle ou suis-je moi-même ? Comment trouver mon identité ? Ma mère est menaçante et risque de me jouer un sale tour. Comme elle me menace dans mon identité, je vais me tourner vers cet homme à qui elle semble accorder de l’importance : mon père. En échange de sa protection, je vais lui donner mon amour. Sauf qu’au moment où elle fait cela, elle se rend compte qu’elle trahit celle qu’elle aime. Alors elle négocie avec elle-même : je vais aller pour neuf parts chez papa et je laisse une part à maman. Ou bien cinq parts chez papa et cinq pour maman. Et la dose d’homosexualité – l’amour pour une personne de même sexe, en l’occurrence l’amour de maman- est spécifique à chaque femme. Or quand une femme choisit un homme, elle réédite cette trahison envers sa mère. Et elle en ressent une énorme responsabilité. Et c’est ce sur quoi savent jouer les mères de filles.
En quoi nos systèmes familiaux respectifs sont-ils différents ?
Aldo Naouri : Qu’est-ce qu’un système familial ? C’est une organisation des échanges entre individus pour être sûr de ne pas commettre l’inceste. Lorsque la loi de l’espèce qui est l’interdit de l’inceste a été mise en place, on a décidé d’une organisation qui permettait de se faire gardienne de cette loi. C’est passé par six systèmes familiaux. Le système arabo-musulman, qu’on appelle le système soudanais est pratiquement le même que celui de la société chinoise, curieusement. Ces systèmes sont fondés sur la manière de nommer les alliances. En français, j’appelle « oncle » le frère de mon père et le frère de ma mère, ainsi que le mari de la soeur de ma mère et le mari de la soeur de mon père. C’est le système esquimau où est entretenue une forme de confusion dans ces différents liens.
Contrairement au système soudanais. En arabe, en effet, « khaly » (le frère de ma mère), ce n’est pas » ‘amy » (le frère de mon père). Le mari de la soeur de mon père s’appelle « rajoul ‘amaty » (le mari de la soeur de mon frère). Ces systèmes produisent à eux seuls un effet sur la façon d’envisager non seulement les liens mais aussi les lois de la transmission.
D’emblée, quand on est à la jonction de deux systèmes de cet ordre qui -très curieusement- dépassent les barrières de langue. Par exemple, l’arabe et l’hébreu sont deux langues sémitiques. Elles ont un ancêtre commun, pourtant les Juifs sont dans un système esquimau. Les systèmes familiaux du monde occidental sont totalement différents du système familial arabo-musulman. Une jonction de deux individus dont la pensée de façon génétique et épigénétique s’est transmise de génération en génération dans des considérations de systèmes familiaux complètement différents ne peut pas affronter cette difficulté autrement qu’en insistant sur le lien d’attachement et de respect que chacun a l’un pour l’autre.
Vous avez parlé d’une faille dans le psychisme qui entraînerait le choix d’un conjoint de culture différente. Que voulez-vous dire ?
Aldo Naouri : Il faut repartir de la loi de l’interdit de l’inceste, bien antérieur aux religions. L’humanité a 8 millions d’années d’âges. Elle s’est constituée quand les humanoïdes se sont mis debout. Les humains que nous sommes ont une très longue histoire. Si on convertit les 8 millions d’années en 24 h, on peut dire que la bestialité a été la loi de l’humanité pendant 23 heures et que l’ère chrétienne ne représente que les 22 dernières secondes.
A la 23ème heure quelque chose s’est produit, s’est produit dans les groupes humains quelque chose qui a permis un progrès. Les humains sont sortis de la bestialité le jour où les hordes ont décidé d’échanger les femmes entre groupes. C’est le début de la socialisation. Cette loi a produit tout le reste. L’interdit de l’inceste n’est pas une loi qui dit qu’il ne faut pas avoir de rapport sexuel avec ses proches, mais que tout ce qui est proche doit être éloigné. Or il y a chez toute mère une propension incestueuse. Le terme « incestueux » vient du latin incestus et qu’il signifie « ne manquer de rien ». Le simple fait qu’une mère rêve que son enfant ne manque de rien est la preuve de sa propension incestueuse. Si elle met en oeuvre cette propension-là, que son enfant soit un garçon ou une fille, c’est comme si elle tissait autour de lui un utérus virtuel extensible à l’infini. Cet enfant va se sentir littéralement emprisonné dans cet utérus et percevoir qu’il n’a pas de liberté de mouvement. Le jour où poussé par sa maturation qui l’appelle à s’unir à l’autre sexe, il va choisir un individu radicalement différent pour être sûr que cet individu-là ne va pas reproduire avec lui cette enveloppe qu’il veut fuir. Dans le particulier, c’est pour chacun ce qui gît dans son histoire.
Cet utérus virtuel ? N’est-ce pas contradictoire avec le fait de choisir un partenaire qui ressemble à notre mère ?
Aldo Naouri : Mais il ressemble à votre mère ! Mais il porte une différence en lui qui vous permet d’être rassuré dans le fait que vous ne courez plus de danger. Je ne dis pas que votre mère vous a fait courir des dangers, mais c’est ce que vous avez perçu à un moment de votre vie.
Vivre et grandir ensemble alors que l’on vient de deux cultures ou deux religions qui se sont trouvées en concurrence et même en lutte ouverte pendant des siècles, voilà le défi que relèvent bien des couples, en particulier ceux qui « conjuguent » une origine chrétienne et une origine musulmane.
Quel prénom donner à l’enfant ? Faut-il le faire circoncire ? Qu’en est-il du baptême ? Ne seront-ils pas tiraillés entre deux cultures, deux religions, deux désirs ? Des questions auxquelles chaque famille répond de façon originale, à travers tout un cheminement toujours enrichissant et toujours personnel.